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I ES Saint Paul Ajaccio

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21 octobre 2005

L'EXPERIENCE DE JOHN LAW .........HISTOIRE DE LA MONNAIE

Mémoire pour prouver qu'une nouvelle espèce de monnaie
peut être meilleure que l'or et l'argent

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JOHN LAW (1671-1729)

(manuscrit, 1707)

 

Je propose de prouver qu'une nouvelle espèce de monnoye peut être établie plus propre à cet usage que l'or ou l'argent.

L'or et l'argent ont été employés à faire la monnoye parce que ces métaux avoient des qualités qui les rendaient propres à cet usage. D'autres effets peuvent être employés à faire la monnoye, s'ils ont les qualités nécessaires et y seront plus ou moins propres selon qu'ils ont ces qualités en plus grand ou moindre degré.

Pour juger si la nouvelle espèce que je propose est plus propre à faire la monnoye que l'or ou l'argent, il est nécessaire de savoir quels sont les usages auxquels la monnoye est employée et quelles sont les qualités qui rendent l'or et l'argent propres à les servir.

PREMIÈRE PARTIE.

Avant que l'usage de la monnoye fût connu, les effets étoient échangés par troc. Cette manière d'échange étoit très inconvénient; il n'y avoit pas alors de mesure pour connoistre quelle proportion de valeur les effets avoient les uns aux autres. Ex. A demandoit à troquer 50 boisseaux de blé contre du vin; on ne pouvoit pas bien déterminer quelle quantité de vin étoit égale en valeur avec les 50 boisseaux de blé. Car quoique la quantité qui étoit égale l'année auparavant fût connue, si le blé ou le vin n'estoit pas de la même bonté ou qualité, si la quantité de blé ou des vins n'estoit pas dans la même proportion avec la demande, la proportion de valeur estoit changée, les 50 boisseaux pouvoient valoir deux fois la quantité de vin qu'ils valoient l'année précédente. L'argent, étant capable d'un titre /1e/ d'être réduit à un certain degré de finesse et étant peu sujet aux changements dans sa quantité ou dans la demande et par là moins incertain en valeur, étoit employé à servir de mesure pour connoistre la proportion de valeur des effets si les 50 boisseaux de blé valoient marcs d'argent fin ou de tel titre et que les 12 marcs d'argent de cette finesse valussent 15 muids de vin de la qualité que A demandait en échange, alors 15 muids de ce vin étaient l'équivalent de ces 50 boisseaux de blé. La proportion de valeur des effets livrés en différents endroits étoit encore plus difficile à connoiste. Ex. 100 pièces de toille d'Hollande estoient livrées à Amsterdam à l'ordre d'un marchand à Londre et le marchand d'Amsterdam demandoit qu'on livrât la valeur en draps d'Angleterre à son ordre à Londre. La valeur des 100 pièces de toille ne pouvoit pas être réglée sur la quantité de draps d'Angleterre qu'ils valoient à Amsterdam, parce que ce drap étoit d'une plus grande valeur à Amsterdam qu'à Londre où il devoit être livré. Et la valeur du drap d'Angleterre ne pouvoit pas être réglée sur la quantité de toille d'Hollande qu'elle valoit à Londre parce que cette toille étoit d'une plus grande valeur à Londre qu'à Amsterdam où elle avoit été livrée. L'argent, étant très portatif, et par là à peu près de la même valeur en différents endroits, étoit employé à servir de mesure pour connoistre la proportion de valeur des effets livrés en différents endroits. Si les 100 pièces de toille valaient à Amsterdam 200 marcs d'argent fin et que 200 marcs d'argent valussent à Londres 20 pièces de drap de la qualité que le marchand d'Amsterdam demandoit en échange, alors 20 pièces de ce drap livré à l'ordre étoient l'équivalent de ces 100 pièces de toille livrées à Amsterdam.

Les contracts, promesses, etc., étant payables en effets, étoient sujets aux disputes, les effets de même espèce diffèrent beaucoup en valeur. Ex. A avoit prêté 50 boisseaux de blé à B et B avoit contracté à rendre la même quantité de blé dans une année. A prétendoit que le blé que B luy rendoit n'estoit pas de la bonté de celuy qu'il avoit prêté et comme le blé n'estoit pas capable d'un titre, on ne pouvoit pas les bien juger.

L'argent étant capable d'un titre estoit employé à servir de valeur dans laquelle on contractoit, alors celui qui prêtoit prenoit le contract payable en argent d'un tel titre et par là évitoit les disputes.

On avoit de la peine à trouver les effets qu'on demandoit en échange. Ex. A avoit des vins à Bordeaux plus qu'il n'en avoit besoin, il avoit besoin de soye, mais comme on ne trouvoit pas de soye à Bordeaux, il estoit obligé de transporter ses vins pour les troquer sur les lieux où il y en avoit. L'argent étant très portatif étoit employé à servir de medium par lequel les effets pouvoient être plus commodément échangés. Alors A pouvoit troquer ses vins à Bordeaux contre de l'argent et porter l'argent sur les lieux où il y a voit de la soye pour les troquer.

L'argent, avec ses autres qualités, étant durable, divisible et sa propriété pouvant être transférée ou aliénée par livrance, estoit d'autant plus propre à servir à ces usages et ceux qui avoient des effets, dont ils n'avoient pas immédiatement besoin, les convertissoient en argent. Il estoit moins embarrassant à garder que la plupart d'autres effets; sa valeur estoit moins sujette aux changemens. Il estoit plus durable et, estant divisible sans diminuer sa valeur, on pouvoit s'en servir en tout ou en partie comme on en avoit besoin. Donc l'argent en matière ayant les qualités nécessaires estoit employé à servir aux usages auxquels la monnoye sert présentement. Estant capable d'empreint, les Princes établirent des bureaux pour le porter à un titre et le fabriquer. Par là, le titre et poids estoient connus et l'embaras de le pezer et rafiner épargné.

Par ce que je viens de dire, on voit que la monnoye est nécessaire pour remédier aux inconvéniens qu'on souffroit dans l'état du troc, mais il n'est pas nécessaire que la monnoye soit faite d'argent; l'or sert les usages de la monnoye comme l'argent et on peut employer d'autres effets à ces usages pourveu qu'ils ayent les qualités qui rendent l'or et l'argent propres à les servir.

SECONDE PARTIE.

L'OR ET L'ARGENT NE SONT PLUS PROPRES A FAIRE LA MONNOYE.

La monnoye est la mesure par laquelle on connoist la proportion de valeur des effets, la valeur dans laquelle les contracts, promesses, etc., sont faits payables, la valeur par laquelle les effets sont échangés et la valeur dans laquelle les effets dont on n'a pas besoin sont convertis.

Les qualités nécessaires pour estre propres à servir à ces usages sont d'estre certain en valeur, durable, portatif, transférable par livrance, divisible, capable d'un titre et d 'empreins pour marquer le titre et poids.

Les effets qui ont ces qualités et ( = au) plus grand degré sont les plus propres à faire la monnoye.

Le certain dans la valeur est la qualité la plus nécessaire.

La monnoye est employée à servir de mesure pour connoistre la proportion de valeur des effets parce qu'elle est supposée moins sujette aux changements en sa valeur que les autres effets. Les contracts sont receus payables en monnoye: par ce qui est supposé, elle sera de la même valeur lorsque le payement est fait que quand on a contracté. La monnoye est receue en échange des effets et on convertit ceux dont on n'a pas besoin en monnoye, parce que elle est supposée de continuer de la même valeur et que celuy qui la reçoit quand il a besoin d'autres effets en pourroit acheter avec cette monnoye pour la valeur de ceux qu'il a échangés.

Je feray voir que l'or et l'argent sont devenus très incertains en valeur et, par cette raison, peu propres à servir aux usages de la monnoye. La mesure du blé est vendue double de la quantité de rnonnoye qu'elle estoit vendue il y a 50 années: on conclut que le blé est plus cher. La différence du prix peut venir d'un changement dans la quantité ou dans la demande pour la monnoye; alors c'est la monnoye qui est à meilleur marché.

Les espèces estant du même poids et titre et exposées pour le même nombre de sols, nous rend peu sensible aux changements dans la valeur de la monnoye ou des matières d'or et d'argent, mais n'empesche pas la valeur de la monnoye et des matières de changer. Un écu ou un marc d'argent ne vaut pas tant qu'il a valu. La valeur de toutes choses change et la valeur d'argent change plus que la valeur d'autres effets en sorte que les écus qu'on reçoit, quoique du même poids et titre et valant le même nombre de sols que quand la dette a été contractée, ne valent pas présentement ce qu'ils valoient alors.

On sera convaincu que l'argent a beaucoup diminué en valeur si on veut s'informer du prix des terres, maisons, vins, blé et autres effets, avant la découverte des Indes. Alors mille marcs d'argent en matières ou en espèces acheptoient plus de ces effets que dix mille achèteroient à présent. Les effets ne sont pas plus chers ou peu différents. La quantité estant à peu près dans la proportion où elle estoit alors avec la demande, c'est l'argent qui est à meilleur marché.

Ceux qui se servent de vaisselle d'argent croyent ne perdre que l'intérest de la somme employé, la façon, controlle, etc., mais ils perdent encore ce que la matière diminue en valeur. Et la valeur diminuera tant que la quantité augmente et que la demande n'augmente pas à proportion. Une famille qui a eu mille marcs de vaisselle depuis 200 ans a perdu la valeur de plus que de 900 marcs outre la façon, le controle et l'intérest, car les 1000 marcs ne valent plus tant que 100 marcs valoient alors.

La quantité d'or a augmenté au-delà de l'augmentation de la demande et l'or a diminué en valeur, mais comme l'or n'a pas augmenté dans la même proportion avec l'argent, sa valeur n'a pas tant diminué. L'année 1514 le marc d'or valoit 130 livres 3-7 et le marc d'argent 12 et 15. Le marc d'or en matière ou en espèce valoit alors 10 marcs d'argent et un quart; à présent, le marc d'or vaut plus que 15 marcs d'argent, donc ces métaux ne sont pas de la valeur qu'ils estoient à l'égard des autres effets ni à l'égard l'un de l'autre. L'or quoique diminué en vaut 60 pour cent plus d'argent qu'il n'a valu.

Depuis 200 ans, la monnoye a esté affoiblie, les espèces d'argent environs de deux tiers et les espèces d'or un peu plus que trois quarts. La diminution de valeur des matières et les affoiblissements de la monnoye ont causé des pertes très considérables à ceux qui avoient des rentes payables en monnoye; ils ont encore souffert par la diminution des rentes. Avant la découverte des Indes, les rentes estoient constituées au denier 10, à présent au denier 20.

Une donnation faite il y a 200 ans, destinée pour l'entretien de 50 personnes, peut à peine en entretenir un présentement. Je suppose cette donnation un hypothèque pour la somme de 10.000 livres. La monnoye étant alors plus rare, les rentes estoient constituées au denier 10. Mille livres d'intérest pouvoient alors entretenir 50 personnes, la monnoye, à cause de sa rareté, estant d'une grande valeur. Estant devenue plus abondante par la quantité des matières qui a esté apportée des Indes, l'intérest a baissé à 5 %. L'intérest de l'hypothèque de 10.000 livres est réduit à 500, il n'y a que le tiers d'argent dans les 500 livres qu'il y avoit. Et les matières ayant diminuées en valeur, les 500 livres ne valent pas tant que 20 livres valoient et n'achepteroient pas tant de denrées que 20 livres auroient acheptées.

Par cette supputation, une somme destinée pour l'entretien de 50 personnes, il y a 200 ans, et qui alors suffisoit, peut à peine entretenir un présentement. Deux personnes avoient il y a 200 ans mille livres de bien chacun. L'un achepta une terre de 2000 livres, il empreunta 1000 livres de l'autre et donna hypothèque sur sa terre. Quand la valeur des terres n'auroit pas augmenté, cette terre vaudroit 60.000 livres. La monnoye ayant été affoiblie et la valeur des matières ayant diminué, mais la valeur des terres ayant augmenté par la diminution de l'intérest de la monnoye qui affecte le prix des terres, au lieu du denier 10 et 12 qu'elles estoient vendues alors, elles sont vendues au denier 20 et 24.

On peut supputer les améliorations des terres depuis 200 ans moitié de ce qu'elles produisoient alors, mais, supposant que cette terre ne produit que la même quantité de deniers et de même qualité qu'alors, elle doit valoir 120.000 livres. La terre est vendue. La famille de celui qui avoit employé son bien en terres reçoit 119.000 livres et la famille de l'autre qui avoit employé son bien à rente reçoit 1000 livres qui par les affoiblissements de la monnoye et la diminution de la valeur des matières ne valent pas plus que 30 livres valoient alors.

Quoique la valeur d'or et d'argent ait tant diminuée et qu'elle est encore sujette aux mêmes diminutions, pourtant ces métaux sont receus en espèces et matières pour une plus grande valeur que leur valeur comme métaux abstraits des usages de la monnoye.

Employer un effet à des usages auxquels il n'estoit pas employé rend la demande plus grande et augmente la valeur.

L'or et l'argent avant d'être employé[s] aux usages de la monnoye avoient une valeur des usages auxquels ils servoient alors et étoient donnés comme monnoye selon cette valeur qu'ils avoient comme métaux. Estant employés aux usages de la monnoye, a augmenté la demande pour ces métaux, par conséquent a augmenté leur valeur. On n'a pas été sensible de cette valeur acquise à l'or et à l'argent par les usages de la monnoye, l'augmentation de leur quantité ayant baissé leur valeur davantage, mais cette valeur acquise les a empêchés d'estre à si bas prix qu'ils auroient esté s'ils n'avoient pas esté employés à faire la monnoye et que les mêmes quantités avoient esté apportées en Europe.

Je suppose qu'il y a autant d'or et d'argent employé à faire la monnoye et que les mêmes quantités avoient été apportées en Europe.

Je suppose qu'il y a autant d'or et d'argent employé à faire la monnoye qu'à tous les autres usages auxquels ces métaux sont employés; alors ils ont une grande partie de leur valeur des usages de la monnoye. S'ils n'est oient plus employés à faire la monnoye, la demande pour ces métaux ne seroit pas si grande, la qualité pour servir aux autres usages seroit plus grande. Et comme les effets reçoivent leur valeur des usages auxquels ils sont employés et que cette valeur est réglée selon que la quantité est proportionnée à la demande, la valeur d'or et d'argent seroit réduite plus bas qu'elle n'est à présent, ces métaux n'estant plus employés à faire la monnoye et la quantité pour servir les autres usages estant si considérablement augmentée. L'or et l'argent, avant la découverte des Indes, estant peu sujets aux changements en leur valeur et capables d'un titre, estoient par là et leurs autres qualités propres à faire la monnoye, mais les Princes, en surhaussant ou affoiblissant les espèces, ont rendu la monnoye incertaine en qualité quoique réduite à un titre et la grande quantité de ces métaux qu'on apporte des Indes rend leur valeur plus sujette aux changemens que la valeur des autres effets.

Les surhaussemens des espèces ou autres affoiblissemens de la monnoye ne rendent pas l'or et l'argent moins propres aux usages de la monnoye, il dépend du Prince de continuer les espèces du même poids et titre et les exposer pour le même prix, mais les changements qui arrivent dans la quantité d'or et d'argent ou dans la demande pour ces métaux les rendent moins propres à ces usages. Le Prince n'a pu ny ne peut y remédier.

Si on pouvoit trouver de quoy faire la monnoye qui eût les qualités nécessaires et qui continueroit de la même valeur, il y seroit plus propre que l'or ou l'argent mais il n'y a rien qui est certain en valeur car le moindre changement dans la quantité ou dans la demande change la valeur. Ce qui est moins exposé à ces changements est le plus propre et doit estre préféré pourveu qu'il ait les autres qualités nécessaires ou qu'il soit capable de les recevoir.

Les vin, blé, etc., continueront à peu près de la valeur qu'ils ont à présent, car la quantité augmente et diminue avec la demande. Si on employoit quelque autre effet à servir les usages auxquels le blé est employé, la demande pour le blé diminueroit, mais alors on employeroit les terres à produire cet autre effet au lieu du blé et la quantité diminueroit avec la demande. Si la demande augmente, on employeroit plus de terres à produire le blé et la quantité augmenteroit avec la demande.

Il arrive, dans les années stériles ou très abondantes, que le blé et le vin changent considérablement en valeur, mais cela ne dure pas; en peu, la quantité se trouve dans la proportion qu'elle estoit avec la demande et le prix revient.

Les métaux diminueront en valeur car la quantité ne dépend pas de la demande. J'ay une mine de plomb; la demande pour le plomb n'augmente pas ou vient à diminuer et la valeur diminue; mais je continueray à faire travailler la mine tant que la valeur du plomb que j'en tire excède la dépense parce que je ne scaurois employer la mine à produire d'autres effets.

La valeur des terres est plus certaine car la quantité ne peut estre augmentée quoique la demande augmente et la demande ne peut pas bien diminuer, les autres effets ne pouvant suppléer aux usages auxquels les terres sont employés. Donc de tous les effets, les métaux sont les plus exposés aux changements en valeur et la valeur des terres est la plus assurée.

Les terres peuvent estre rendues propres aux usages de la monnoye. Les terres sont moins sujettes aux changements en valeur que l'or ou l'argent et elles sont durables. Elles n'ont pas les autres qualités nécessaires, mais le Roy peut suppléer à ces qualités en établissant un bureau pour évaluer les terres qui seroient présentées, en recevoir les titres et la possession, et, pour en donner la valeur en billets, ordonnant que ce bureau transportera le droit et la possession des terres ainsi converties à la volonté et au choix de ceux qui rapportent au bureau la somme en billets à laquelle ces terres auroient été évaluées.

Pour satisfaire le public que ce bureau ne convertiroit les terres que pour la valeur qu'elles ont présentement en espèces et dont les titres sont assurés, il seroit nécessaire que le Roy ordonne un titre par lequel les terres présentées pour être converties en billets doivent estre évaluées et que Sa Majesté garantiroit la possession de ces terres à ceux qui raporteroient au bureau la valeur en billets.

L'or et l'argent ont été employés à faire la monnoye parce qu'ils avoient des qualités qui les y rendoient propres. Ces billets transportant la propriété des terres estant portatifs, divisibles, transférables par livrance et ayant l'empreint du Prince pour marquer leur valeur auroient les qualités nécessaires et seroient monnoye. Ils ne seroient pas monnoye d'or ou d'argent mais ils seroient monnoye d'une autre espèce.

Les effets de différente espèce peuvent servir aux mêmes usages. L'or et l'argent sont de différente espèce, pourtant l'un et l'autre servent aux usages de la monnoye.

Comme une partie de ceux qui jugent, condamnent ou approuvent sans bien examiner, je m'attends que plusieurs seront prévenus contre la nouvelle espèce proposée. Pour les désabuser, je feray voir ce qui est présentement pratiqué en Angleterre; après, je répondray aux objections que je me suis formées, qui ont quelque apparence de raison pour les soutenir.

[TROISIÈME PARTIE. ]

Les espèces d'Angleterre ont été compulcées à 12 ou 14 millions sterlinc (la livre sterlinc vaut environ 16 livres de France); 14 millions sterlinc n'estoient pas capables de servir à tous les usages auxquels la monnoye d'Angleterre a esté employée. Si elle n'avoit pas employé d'autres effets à plusieurs usages de la monnoye, le transport des espèces pour soutenir ses alliés auroit détruit ses manufactures et le commerce.

La guerre passée, le Parlement ayant besoin d'argent fit un empreunt de 50.000 livres sterlinc pour 11 années. Comme l'argent estoit rare, l'intérest estoit proposé à 50 %. Et pour engager le public à prêter, il estoit proposé que ceux qui prêteroient seroient érigés en Compagnie sous le nom de la Banque d'Angleterre et privilégiés pour les 11 années que l'empreunt estoit proposé, il étoit permis à un chacun d'y porter son argent. Le plus haut intéressé estoit limité à 5000 £ sterlinc et le plus petit à 100.

Les 50.000£ étant remplies, les directeurs furent choisis par les intéressés. Ces directeurs estant des plus riches et plus réputés négocians et la somme prêtée au Parlement estant trouvée sûreté suffisante contre les pertes que la Banque pourroit faire, en peu elle devint le caissier de la plupart des négocians qui, pour éviter l'embaras des payements en espèces, la dépense des caissiers, le risque d'estre volés, etc., portèrent leurs caisses à la Banque et se servirent des billets de banque dans les payements.

La banque ayant alors une grosse somme en caisse estoit en état d'en prêter aux particuliers, en gardant une partie pour payer les billets qui seroient présentés. Comme la banque a fait des dividendes de 20 et 25 % par années au profit des intéressés, après avoir défrayé la dépense de l'administration, on peut computer les sommes confiées à la banque à 1.200.000 £, qu'elle prêtoit 5 ou 400.000 et qu'elle Gard oit le reste en caisse. Et, par cette supputation, elle a fait le même effet que si les espèces d'Angleterre a voient été augmentées de 5 ou 400.000 £ en quantité, car les billets avoient cours volontaire et on les préféroit aux espèces.

L 'affaire s'étant trouvée bonne les actions estoient négociées à 60 et 50 % de profit et, le transport de ces actions estant facile, on les recevoit en payements sur le pied qu'elles estoient négociées, en sorte que les actions de 50.000 £ faisoient le même effet que 130 ou 140.000 en espèces auroient fait.

Donc le Parlement, en empreuntant 50.000 £ a fait le même bien au commerce, etc., que si la quantité de monnoye avoit été augmentée d'environ un million sterlinc, car les actions et les billets de banque sont compulcés à 13 ou 1.400.000 £ et les sommes qu'elle garde en caisse ne sont compulcées qu'à 3 ou 400.000. Le Parlement par là a donné une très grande commodité aux négocians, les billets estant plus commodes dans les payements que les espèces et une occasion aux intéressés dans la banque de faire valoir leur fonds 20 et 25 % quoiqu'ils prêtent aux particuliers à 4 et 5.

Les fonds donnés par le Parlement pour soutenir la guerre sont anticipés. Le gouvernement frappe des tailles pour la somme donnée et donne ces tailles à négocier ou en payement. Les négocians, ou ceux à qui le gouvernement doit, les reçoivent en discontant selon qu'ils computent le tems qu'ils seront remboursés.

De même, les billets d'exchiquier et billets des banquiers particuliers ont cours dans le commerce comme les espèces en sorte que on peut dire que le plus gros du commerce d'Angleterre est soutenu par les moyens qu'ils ont trouvés pour suppléer aux espèces.

Ces moyens ne sont que des crédits ou promesses de(s) payements en espèces. Ce qui approche le plus à une nouvelle espèce de monnoye est la Compagnie des Indes. Le fond de cette Compagnie est partagé en actions comme celuy de la banque, on en négocie tous les jours à la bourse et le prix courant est marqué dans les gazettes, etc. pour le faire connoistre au public. Comme le transport de ces actions est facile on les donne et reçoit en payement sur le pied qu'elles sont négociées, en sorte qu'un marchand ou négociant qui a des payements à faire, ne garde pas des sommes en caisse. Comme il fait valoir une partie de son capital dans la Compagnie des Indes, il donne de ces actions en payement et si on fait difficulté de les recevoir sur le pied qu'elles sont négociées ce jour, il n'a qu'à envoyer à la bourse les convertir en espèces, mais, comme on peut les convertir, on ne les refuse pas.

Ces actions ne sont pas des promesses de payement en espèces, elles sont comme une nouvelle espèce de monnoye. Car le fond de la Compagnie n'est point en argent, [il] consiste en magazine de marchandises des Indes, en vaisseaux, en places fortes, canons, etc., qui appartiennent à la Compagnie et qui servent les usages de la monnoye, comme la même valeur qu'en or ou en argent fabriqué pourroit faire. Il y en a qui ne veulent pas courir le risque de perte que la Compagnie peut faire: ceux-là les peuvent convertir en or ou argent dans le tems et sur ce pied [qu']ils les reçoivent. Les autres les préfèrent aux espèces parce que ces actions sont une valeur déjà employée qui produit, et les espèces d'or et d'argent ne produisent que quand l'occasion se présente pour les employer.

La différence qu'il y a entre un crédit et une nouvelle espèce [c'est que] la valeur du crédit dépend de la valeur des espèces d'argent dans laquelle elle doit estre payée et baisse ou hausse comme la valeur d'argent en matière ou en espèces baisse ou hausse. Une nouvelle espèce a sa valeur indépendant[e] de l'argent; si l'argent devient plus commun par la quantité qui est apporté des Indes et que la valeur baisse en même temps, un billet de banque ou de l'exchiquier baisse en valeur parce qu'il est payable en monnoye faite de ce méteil, mais la valeur d'une action de la Compagnie des Indes ne baisse pas par là; si l'argent devient plus commun, on donneroit plus de ce méteil pour les actions et alors les actions ne sont plus chères, c'est l'argent qui est à meilleur marché. Depuis l'établissement de la Compagnie des Indes en Hollande, on compute que les actions sont beaucoup enchéries parce qu'elles valent 12 ou 14 fois la quantité de monnoye qu'elles valoient alors.

Mais la différence du prix ne vient pas de ce que les actions valent plus, elle vient de ce que la monnoye vaut moins par les affoiblissements et l'augmentation de la quantité des matières. Les intéressés n'ont pas gagné comme ils croyent, ils ont évité une partie des pertes qu'ils auroient souffertes si leur capital avoit été employé payable en monnoye et gagné le revenu qu'ils ont tiré plus que ce capital auroit produit étant employé à rentes.

QUATRIÈME PARTIE.

Objection. * La valeur des terres présentées pour estre converties en billets ne scauroit estre si connues à ce bureau qu'elles ne soient souvent converties pour plus ou moins qu'elles ne valent selon le titre.

Réponse. * Le remède de loy et le remède du poids ont été établis parce que les espèces d'or et d'argent ne pouvoient estre fabriquées précisément du titre et poids ordonné. On peut établir un remède de valuation et en cas qu'il se trouve des terres converties pour plus qu'elles ne valoient selon le titre et hors le remède, le bureau seroit obligé de payer ce que les terres seroient jugées foibles et à l'amande, comme dans la fabrique des espèces.

L'or et l'argent ont cet avantage sur les terres: ils sont plus capables d'un titre, mais cela ne balance pas les avantages que les terres ont sur ces métaux dans les autres qualités. Le titre sert principalement dans les contracts. Le blé n'est pas si capable d'un titre que l'argent, mais il est moins sujet aux changements en sa valeur. Je suppose deux personnes qui avoient des rentes, il y a 200 ans pour la même quantité de blé. L'un a converti sa rente en monnoye et ses successeurs ne reçoivent pas la 20e partie de valeur que les successeurs de l'autre reçoivent qui ont continué la rente payable en blé. L'incertain dans la quantité d'argent fait plus que balancer l'incertain dans la qualité et quantité de blé. Donc, quoique les terres ne soient pas si capables d'un titre que l'or et l'argent, étant plus certain[e]s en valeur, fait plus que balancer cette avantage, et le[s] rend plus propre[s] que ces métaux à servir de valeur dans laquelle les contracts sont faits payables qui est l'usage de la monnoye où le titre est le plus nécessaire.

Les terres ne valent pas tant que quand les espèces estoient plus abondantes, les espèces pourroient devenir plus rares, ce qui diminueroit la valeur des terres et, comme les billets proposés auroient leur valeur des terres consignées, la valeur des billets seroit incertaine.

Je ne propose pas que cette nouvelle espèce continuera toujours dans la même proportion de valeur avec les espèces d'or et d'argent; cela seroit avoir une qualité qu'aucun effet ne sauroit avoir, mais je prétends que la valeur de cette nouvelle espèce sera moins incertaine que la valeur des espèces d'or et d'argent.

Les terres ne valent pas tant d'espèces qu'avant la guerre; les terres ne valent pas moins, ce sont les espèces qui valent plus, estant devenues plus rares. Les espèces ne sont pas généralement plus chères dans l'Europe. Elles sont plus chères en France, le Roy ayant eu des armées à entretenir en pays étrangers qui en ont causé le transport.

Il y a peu d'apparence que la cherté des espèce[s] doive continuer, car, nonobstant la guerre, à présent il n'en sort point ou peu et il vient des matières. Mais je supposeray que les espèces avoient toujours augmenté en valeur et que la valeur des terres avoit toujours diminué, qu'une terre estimée à présent et convertie pour 100.000 livres ne vaudroit en six mois que 90.000 livres. Comme ces billets auroient leur valeur des terres consignées, un billet de 1000 livres ne vaudroit alors que 900 livres en espèces.

Si la monnoye de France étoit d'or, que l'argent n'eut jamais esté fabriqué, qu'il n'y eut pas assez de monnoye d'or ni de matières pour en faire, mais qu'il y eut assez d'argent en matière, ferait-on difficulté de fabriquer l'argent parce que une once d'argent ne vaut pas tant d'or qu'elle a valu. Ce qui est proposé est d'employer les terres aux usages de la monnoye et il y a bien plus de raison d'employer les terres à ces usages qu'il n'y aurait dans le cas que je viens de supposer pour fabriquer l'argent.

L'argent à présent ne vaut pas tant d'or qu'il a valu et la différence entre la valeur d'or et d'argent pourroit devenir plus grande, mais cette différence au lieu d'empescher la fabrique d'argent est une raison très forte pour le fabriquer. L'or estant supposé rare et l'argent en assez grande quantité, on devroit employer l'argent à servir les usages de la monnoye et par là diminuer la demande et la valeur d'or et augmenter la demande et la valeur d'argent.

De même la différence entre le prix des terres quand les espèces estoient plus abondantes et à présent, c'est une raison très forte pour employer les terres aux usages de la monnoye et par là diminuer la demande et la valeur des espèces d'or et d'argent et augmenter la demande et la valeur des terres.

J'ay déjà remarqué que de donner des qualités à un effet. qui le rend capable des usages desquels il n'estoit pas capable avant de les recevoir, rend la demande plus grande et augmente la valeur. Les terres, à présent, ne sont pas propres aux usages de la monnoye; estant converties en billets, elles auroient les qualités nécessaires, seroient plus utiles à l 'Etat et augmenteroient plus ou moins employées à les servir. La valeur acquise aux terres par les usages de la monnoye sera plus que la valeur acquise à l'or et à l'argent par ces usages. Ces métaux, tant qu'ils sont monnoye, sont incapables de tout autre usage. Les terres peuvent servir les usages de la monnoye et produire en même tems. Les droits de seigneuriage et brassage sont pris sur les espèces d'or et d'argent; ces droits ne seroient pas pris sur cette nouvelle espèce: la fabrique, etc., seroit défrayée par le bureau.

Objection. * Celui qui a des sommes à recevoir, qui a dessein d'achepter quelque terre consignée, recevra ces billets en payement, mais ceux qui ne veulent pas employer en terres les sommes qu'ils doivent recevoir ne prendront pas ces billets en payement.

Réponse. * On auroit pu faire la même objection contre l'établissement de la monnoye d'or et d'argent. On auroit pu dire que ceux qui n'avoient pas besoin de ces métaux ne recevroient pas la monnoye d'or et d'argent en échange de leurs effets.

Si à l'établissement de la monnoye les espèces ont été receues parce qu'elles estoient fabriquées et authorisées par le Prince, par la même raison, les billets proposés estant fabriqués et autorisés par le Roy seroient receus comme les espèces d'or et d'argent. Mais les espèces n'ont pas été receues parce qu'elles estoient fabriquées ou autorisées, elles ont été receues parce qu'elles étoient faites des métaux qui avoient une valeur étant capables d'autres usages, comme j'ay déjà expliqué page [L'indication n'est pas donnée]. Tous ceux qui recevoient la monnoye d'or et d'argent n'avoient pas besoin de ces métaux, ils avoient des effets à troquer, ils les donnoient pour de l'argent, ils n'avoient pas besoin de ce méteil, ils le prenoient en échange de ces effets parce qu'ils les pouvoient échanger contre d'autres effets avec ceux qui en avoient besoin. Mais ceux qui avoient besoin d'or et d'argent ne faisoient pas la centième partie du peuple, pourtant ils ont tous reçu ces métaux volontairement en échange de leurs effets, une partie en ayant besoin a donné cours entre les autres.

Celui qui achepte les terres acheptera ce que les terres produisent, les hommes ont plus besoin des terres et de ce qu'elles produisent que d'or et d'argent. Donc les terres converties en billets et employé[e]s à servir les usages de la monnoye doivent être reçeu[e]s préférablement à ces métaux.

Objection. * Les contracts estant faits payables en monnoye d'or et d'argent, ceux qui ont des payements à faire ne recevront pas cette nouvelle espèce.

Réponse. * En Angleterre, les espèces d'or ne sont pas monnoye, on n'est pas obligé à les recevoir en payement. Pourtant ceux qui ont des contracts payables en monnoye ne les refusent pas parce que 1000 £ en or vaut 1000 livres comme la même somme en argent; au contraire, on préfère les espèces d'or estant plus portatif.

De même quoique cette nouvelle espèce ne soit pas autorisée monnoye, elle doit estre receue volontairement, car 1000 livres en terres valent 1000 livres comme 1000 livres en or ou en argent. La valeur des terres estant bien moins incertaine que la valeur de ces métaux et les billets estant plus portatifs, cette nouvelle espèce sera préférée et ceux qui regardent l'avenir pour eux ou pour leurs familles ne prendront plus leurs contracts payables en espèces d'or ou d'argent.

Objection. * Quand je reçois la monnoye d'or ou d'argent en échange de mes effets, je reçois la valeur, mais en recevant ces billets, je ne reçois pas la valeur, elle est consignée au bureau.

Réponse. * Quand on reçoit un billet de banque, on ne reçoit pas la valeur, elle est consignée en banque et comme on peut recevoir la valeur de ces billets en or ou en argent à la banque, de même on peut recevoir la valeur des billets proposés en terres au bureau.

Les billets sont plus propres que les espèces à servir les usages de la monnoye. La banque d'Amsterdam est le caissier des négocians, les espèces sont consignées et les payements sont faits par assignation sur la banque. La banque ne donne pas intérest pour les sommes qu'on luy a consignées, d'engager les négocians à porter leurs espèces en banque; au contraire il faut payer la feuille qu'on occupe. En Angleterre, en Ecosse, en Suède, à Gênes et à Venise, les espèces sont consignées et les billets qui transportent sont employés aux usages de la monnoye.

Les billets proposés serviroient les usages de la monnoye comme les billets de banque avec cette différence: la valeur consignée étant en terres seroit moins sujette aux changements que l'or et l'argent consigné pour les billets de banque.

Les banques employent une partie des sommes consignées. La demande est plus grande que les sommes en caisse: la banque vient à manquer. Le bureau, pour convertir les billets proposés en terres ne scauroit manquer, ayant en terres la valeur de tous les billets fabriqués.

[Objection]. Les billets proposés ne peuvent estre convertis en or ou argent comme les billets des banques.

Réponse. * La valeur consignée pour les billets des banques est en or ou argent; la valeur consignée pour ces billets est en terres: c'est une monnoye d'une différente espèce. Les espèces d'or ne sont pas conversibles en espèces d'argent que par convention. La monnoye d'or est à présent conversible en monnoye d'argent parce que le Roy change le prix des espèces comme leur valeur change. De même ces billets seroient conversibles en espèces d'or et d'argent si le Roy hausse et baisse le prix de ces espèces pour les rendre équivalents avec les billets. Si l'or devient plus rare ou que l'argent devienne plus abondant et que le Roy ne change pas le prix des espèces, on ne trouvera pas un louis d'or pour le prix marqué par Sa Majesté parce que le louis d'or alors vaudroit plus.

Si les espèces d'or et d'argent avoient été continuées du même prix depuis 200 ans ou que les espèces d'or eussent été haussées dans la même proportion avec les espèces d'argent, 10 onces et un quart seroit exposé pour la même somme avec une once d'or. Mais personne ne donneroit une once en matières ou en espèces pour 10 onces et un quart d'argent, quoique c'estoit la proportion de valeur marquée par le Roy parce que l'argent ayant plus augmenté en quantité que l'or a plus perdu de sa valeur et qu'en transportant l'or en pais étranger il y auroit 50% à gagner, l'once d'or valant à présent 15 onces et demi d'argent.

Les billets proposés seroient conversibles en terres comme les billets des banques sont convertibles en or ou argent et un billet de 1000 ou 10.000 livres pourroit estre échangé au bureau contre des petits. Mais d'estre conversible en d'autres espèces à un prix réglé seroit avoir une qualité que la monnoye d'or, d'argent ni aucune monnoye ou autre effet ne peut avoir.

Objection. * Un billet de 100 £ de cette nouvelle espèce n'est capable d'aucun usage parce que il n'y a pas des terres de ce prix et il ne peut estre converti.

Réponse. * Une pièce de 4 sols ne peut pas faire une assiette, mais elle est receue parce que plusieur[s] pièces de 4 sols sont capables de cet usage.

Cette nouvelle espèce proposée seroit conversible en terres, les espèces d'or et d'argent ne sont pas conversibles en matières. Car il est deffendu de les fondre, elles peuvent estre converties en matières, comme elles peuvent estre converties en d'autres effets par convention, mais si les matières devenoient rares une once en matière vaudroit plus qu'une once en espèces quoique du même titre. Si cette deffense pouvoit estre exécutée et que la quantité des matières diminuât considérablement, les espèces perdroient leur valeur, une once en matière vaudroit plus qu'une once en espèces et les espèces ne seroient receues que par ceux qui auroient contractés à les recevoir.

La fonte des espèces estant deffendue, ceux qui prennent leurs contracts payables en monnoye ou qui les reçoivent en échange de leurs effets, ne les reçoivent pas parce qu'ils ont besoin des métaux d'or ou d'argent, ils les reçoivent comme un gage ou assurance avec laquelle il est supposé qu'on peut achepter les mêmes effets qu'on a vendus ou d'autres de cette valeur. La monnoye qui est moins exposée à diminuer en valeur est la plus propre pour répondre à cet intention.

Le Roy peut augmenter la demande et la valeur des billets proposés. Et ordonnant que tous contracts, promesses, etc., soient faits en cette nouvelle espèce, je consens qu'il doit estre libre de prendre ses contracts payables en tels effets qu'on veut mais on auroit bien moins de raison de se plaindre d'un tel édit que de ceux qui deffendent de contracter en écu ou autres espèces et qui ordonnent de contracter en livres, sols et deniers, car les livres, etc. sont très incertaines en valeur, il n'y a pas à présent la 10e partie d'or ou d'argent dans une livre qu'il y avoit. Quand la même quantité y seroit, l'or et l'argent ont diminué en valeur et diminueront selon que la quantité augmente ou que la demande pour ces métaux diminue, eu sorte que il y a plus à risquer à contracter en espèces d'or et d'argent ou de recevoir ces espèces en payement qu'en contractant par cette nouvelle espèce ou en la recevant car elle est moins sujette à diminuer en valeur.

Il peu à craindre que les billets transportant la propriété des terres diminuent en valeur; la quantité d'or et d'argent augmente, la quantité des terres ne peut estre augmentée. A l'égard de la demande, l'or et l'argent ne sont que produits, les effets produits peuvent perdre leurs usages ce qui en diminueroit la demande. La demande pour les terres ne peut pas bien diminuer, car il n'y a rien qui puisse suppléer aux usages auxquels les terres sont employé[e]s. Au contraire, les terres augmenteront en valeur par les usages de la monnoye et la valeur d'or et d'argent diminueront. Les terres peuvent servir les usages de la monnoye et produire en même tems; l'or et l'argent tant qu'ils sont monnoye sont incapables de tout autre usage.

Une monnoye qui est sujette aux changements en sa valeur est comme une aulne qui est incertaine. De contracter en livres c'est comme si on contractoit pour tant d'étoffe quoique l'aulne qui devoit mesurer l'étoffe étoit quelque fois plus longue, quelque fois plus courte. Et comme l'aulne qui est certaine est plus propre que celle qui est incertaine, ainsi la monnoye qui est moins exposée aux changements en valeur est la plus propre.

Les métaux d'or et d'argent coûtent les effets transportés pour donner en échange, les billets ne coûteroient que la dépense de les faire, qui ne reviendroit pas à tant que la fabrique des espèces. Se servir d'or et d'argent pour faire la monnoye est comme si on se servoit de denrées d'un pays étranger, lesquelles on paye chères et qu'on ne pût avoir en assez grande quantité pour les besoins les plus pressants, n'ayant pas des effets à donner en échange ou les autres pays n'ayant pas besoin d'une plus grande quantité de nos effets, et en même temps laisser incultes les terres qui sont capables de produire des denrées d'une autre espèce plus propre aux usages auxquels on employe les denrées étrangères et qu'on peut avoir chez soy à peu de dépense et de travail, en assez grande quantité, pour servir à tous les besoins du Royaume.

Les espèces d'or et d'argent ont esté monopolisées par les Anglois et Hollandois qui par là et leur œconomie monopolisent le commerce au préjudice des autres nations qui n'ont pas si grande quantité des espèces et qui, faute d'espèces, ne peuvent employer leur peuple. Quand il y auroit assez d'espèces pour servir à tous les besoins du Royaume, il est de l'intérest de l'Etat et du commerce que les terres soient employées aux usages de la monnoye.

II y a plusieurs voyes par où une balance devient deu[e] aux étrangers; pour payer cette balance, les espèces sont transportées. Les peuples, faute d'espèces, ne sont pas employés, le commerce languit, le produit des terres ne peut estre converti en espèces, les rentes, la taille, etc., ne peuvent estre payées. Les terres estant employées aux usages de la monnoye, cette confusion n'arrivera pas, cette nouvelle espèce ne seroit pas transportée en si grande quantité ou seroit renvoyée, la valeur estant en France. Et ceux à qui ces espèces transportées appartiendroient deviendroient en quelque manière françois ayant leurs effets en France.

Quoiqu'une très grande quantité fût transportée, la quantité dans le pais continueroit dans la même proportion avec la demande, si la demande augmentoit, plus de terres seroient présentées pour estre converties et la demande diminueroit. On apporteroit les billets au bureau pour les convertir en terres. En sorte que cette monnoye seroit la valeur la plus certaine et la mesure la plus Juste pour celuy qui doit payer et pour celuy qui doit recevoir.

Les terres estant employées aux usages de la monnoye, la quantité estant plus grande, l'intérest baisseroit. Je suppose l'intérest des espèces d'or et d'argent baissé à 2 ou 3%. La nouvelle espèce continueroit à 5%, parce qu'elle seroit conversible en terres qui rendroient environ(s) 5%. Mille livres en cette nouvelle espèce seroit alors équivalent à 2000 livres monnoye d'or ou d'argent.

L'intérest de la monnoye estant baissé, le prix des terres hausseroit; si la monnoye estoit à 2 %, les terres vaudroient le denier 50 en or ou argent.

Le Roy en employant les terres aux usages de la monnoye augmenteroit ses revenus par celuy des terres consignées. On croira peut estre que ce revenu ne seroit pas considérable. Comme la France est capable d'employer dix fois plus de monnoye qu'elle n'a encore eu, ce revenu doit produire considérablement et je suis persuadé que si Sa Majesté employe ce revenu à acquitter les dettes de la Couronne, elles seront acquittées en moins qu'elles n'ont été contractées.

Ce moyen de trouver des sommes au Roy est bien différent des autres; au lieu d'estre à charge au peuple, les soulageroit. Et d'autant que ce revenu augmente d'autant plus le peuple seroit soulagé et l'Etat sera plus puissant puisque cette nouvelle espèce n'augmenteroit en quantité qu'à mesure que la demande augmente. C'est une source de monnoye qui ne peut pas estre épuisée et qui sera toujours preste quand l'industrie la demande.

Comme il est de l'intérest du Roy, des propriétaires des terres et du peuple que les terres soient employées à servir les usages de la monnoye, il dépend de Sa Majesté et des propriétaires des terres d'introduire cette nouvelle espèce dans le commerce et autres payements sans aucune force et d'en exclure les espèces d'or et d'argent en prenant à l 'avenir leurs baux et autres contracts payables en cette nouvelle espèce. Le reste du peuple alors s'en serviroit car on ne pourroit avec les espèces d'or et d'argent achepter le produit des terres. Le fermier estant obligé d'échanger le produit contre l'espèce qu'il a contracté à payer à son seigneur et avec laquelle il doit acquitter la taille ou autres droits qu'il doit payer à Sa Majesté.

La valeur dans laquelle les propriétaires des terres contractent à estre payé[s] deviendra la valeur dans laquelle les autres contracts seront receus et par laquelle le commerce se fera.

Le manufacturier et l'artisan vendront leurs ouvrages pour cette monnoye, en ayant besoin pour achepter les matériaux qu'ils employent et pour payer les ouvriers qui préféreront cette monnoye pour achepter de quoy se nourrir. Les rentes des maisons, etc., seront payées avec cette monnoye, car ceux qui vivent de leurs rentes sont nourris et vêtus du produit du pays et travail du peuple. De même le produit de manufacture sera achepté avec cette nouvelle monnoye. Les étrangers en ayant besoin pour achepter le produit des manufactures de France, on trouvera des lettres de change, pour la valeur, en monnoye étrangère. Supposant que Sa Majesté, ny les propriétaires des terres, ne fassent rien pour introduire cette nouvelle espèce, comme elle est plus propre et que sa valeur est plus assurée, le tems l'introduira et excluera les espèces d'or et d'argent des usages de la monnoye.

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21 octobre 2005

UN SITE SUR L'HISTOIRE DES MOMMAIES

UN SITE SUR L'HISTOIRE DES MOMMAIES

http://www.cgb.fr/monnaies/

21 octobre 2005

NOTE DE LECTURE AUX ORIGINES DE LA MONNAIE

NOTE DE LECTURE

La dette de vie - aux origines de la monnaie

Philippe ROSPABE, La dette de vie - aux origines de la monnaie, Préface d'Alain Caillé, Collection "Recherches", série "Bibliothèque du Mauss", Éditions de la Découverte, 1995.


Les tentatives visant à doter l'économie politique de solides fondements anthropologiques sont trop rares pour qu'on ne se félicite pas de la parution du clair et rigoureux ouvrage de P. Rospabé. Adoptant un ton volontairement empiriste, l'auteur n'en développe pas moins une thèse qui le démarque de la thèse sacrificielle de l'origine de la monnaie (Laum, 1924, réinterprété par Aglietta & Orléan, 1982) et de l'hypothèse politique développée par J. M. Servet (1981), laquelle pouvant trouver quelques échos récents (Pivon et Thievaud, 1995). P. Rospabé, illustrant de facto le point de vue relativiste, soutenu par exemple par L. Dumont (1983, p. XVI et sq.) et D. de Coppet, selon lequel il convient de chercher dans les totalités sociales considérées le sens des pratiques monétaires. P. Rospabé retrouve et généralise l'intuition de M. Leenhardt pour qui la monnaie représente la vie, véritable "équivalent général" des sociétés primitives. Plus précisément, l'auteur oppose les modernes, dominés par la pensée de la rareté des marchandises, aux "sauvages", dont les représentations se structurent autour de la rareté des ressources vitales disponibles au sein d'un groupe (p. 241). Le rôle essentiel de la vie dans la pensée sauvage entraîne qu'on n'achète pas les femmes qui demeurent fondamentalement inaliénables (p. 64 et 97) ; tout au plus, les pratiques de paiement à la fiancée permettent une possible reconstitution de la substance vitale cédée. En fait, on n'éteint pas les dettes, on en crée d'autres qui les atténuent pour rendre possible la vie sociale.

Trois grandes parties partagent l'ouvrage. L'auteur démontre d'abord que le paiement pour la fiancée est l'archétype de l'échange ; ensuite, il semble en découler que les paiements pour le sang et diverses formes de l'échange cérémoniel déclinent l'hypothèse première de la "monnaie dette de vie" dont le paiement pour la fiancée est l'idéal-type originel. L'auteur remarque que la dynamique des échanges cérémoniels, dont la raison d'être est la production du social (p. 211), et le principe même de substitution, tendent à relativiser le principe de l'inaliénabilité des biens échangés dont Mauss fit grand cas, ce qui ouvre ainsi la voie au champ de l'équivalence (p. 228-229). Le chapitre consacré au sacrifice néo-guinéen du cochon constitue la vraie conclusion de l'ouvrage, en ce que s'esquisse une discussion avec la théorie concurrente de la genèse de la monnaie fondé sur le moment essentiel du sacrifice. Celui-ci n'est pas "répétition d'un acte originel" mais "participe d'un processus de "transformation des substances". Le lecteur est donc invité à en rester à une lecture relativiste du sacrifice, celle du "code" que lit le sociologue dans les discours des ethnologues eux-mêmes.

Or, exceptée peut-être une réfutation de la thèse sacrificielle en conclusion, l'auteur ne discute pas vraiment d'autres interprétations. Par exemple, dans sa préface, A. Caillé (p. 14) affirme que la thèse de Ph. Rospabé est complémentaire et différente de celle de Jean-Michel Servet ; on ne peut que déplorer qu'un dialogue ne se soit élaboré dans un champ intellectuel si étroit par ailleurs. Pourtant, l'auteur souligne (chez les Melpa, voir p. 165-166) un contre-exemple singulier qui illustre plutôt une interprétation politique du phénomène monétaire. Du point de vue de la méthode, il n'est pas sûr que le fait de privilégier des régions, apparemment moins touchées par le marché mondial jusqu'à une date récente, nous donne plus à voir que la voie historique ou l'exemple africain sur l'"essence" du phénomène monétaire. Enfin, M. Godelier (1996, p. 232) souligne que l'ouvrage de P. Rospabé ne comporte pas l'analyse des "objets qu'on ne donne pas", car, sans comprendre "les points fixes" autours desquels tournent les échanges, on ne peut comprendre le sens de ceux-ci et plus généralement, donner une interprétation renouvelée du sacré. Néanmoins, ce travail de l'auteur comme mise en ordre de toute une littérature et exposition d'une thèse rigoureuse est absolument nécessaire.

Bibliographie

AGLIETTA M., ORLEAN A., La violence de la monnaie, PUF, 1982.

DUMONT L., "Préface", pp. I, XX, in K. POLANYI, La Grande Transformation, 1983.

GODELIER M., L'énigme du don, Fayard, 1996.

LAUM B., "Chapitre 5 d'Argent sacré - analyse historique de l'origine sacrée de l'argent (1924)), présentation d'A. Bensa, Genèses, 8, 1992, pp. 60 - 85.

PIVON S., THIEVAUD J. M., "De la monnaie électronique à l'invention de la monnaie en électron - en Lydie au VII° siècle AJC", Revue d'économie financière, 1995, p. 271-292.

SERVET J. M., Genèse des formes et pratiques monétaires, Thèse de doctorat d'Etat, Lyon 2, 1981.

21 octobre 2005

l'empire de l'argent article du monde

Délivrez-nous de l'argent par Alain Faujas


L'empire de l'argent, d'André Gauron (Desclée de Brouwer, 182 p., 20 €).

Voilà un livre qui souffle le chaud et le froid. Mais comment l'éviter avec ce phénomène protéiforme qu'est la monnaie ?

Ancien membre du Conseil d'analyse économique auprès du premier ministre, l'auteur débute par un constat apocalyptique sur la "marchandisation" de la planète. Le règne du consommateur a mis celle-ci en coupe réglée : les activités humaines ont été matérialisées, la nature a été monétarisée, l'inégalité est devenue la règle, les sociétés en sont déstructurées.

Elites pourries, Etats évanouis, patrimoines génétique ou culturel en voie d'appropriation privée : "Une telle société où la marchandise règne sans partage est proprement inhumaine". Ce constat ne surprendra pas les militants antimondialisation, même si l'auteur prend le soin de se démarquer de leurs analyses un peu trop simples.

La partie froide de l'ouvrage est moins "vendeuse" mais autrement intéressante. Elle montre, avec une certaine nostalgie, comment le fordisme et le keynésianisme nés dans les années 1930 ont su "limiter les oscillations de la croissance autour du chemin d'équilibre", grâce au couplage de la productivité, de la demande et des salaires. Cette sagesse a été oubliée avec l'abandon du régime des changes fixes confirmé en 1976 par les accords de la Jamaïque et par "la transformation du dollar de monnaie étalon en monnaie mondiale privée".

C'était la porte ouverte à toutes les frénésies, à toutes les volatilités, à toutes les avidités. Le spéculateur a pris le pas sur l'entrepreneur, le court terme sur le long terme, car la Bourse et ses actions l'ont emporté sur les banques et l'emprunt. L'économie est devenue un "casino", selon le mot de Keynes, et pas du tout un marché rationnel, selon Walras.

André Gauron n'est pas moins convaincant quand il convoque Zola et Bataille, Monet et Gide, pour tenter d'analyser comment s'installe la tyrannie de l'argent. Le "désir d'argent" est d'abord exacerbé par le triomphe de la liberté et de l'individu dans le monde contemporain ; selon Bataille, le spéculateur est "seul le véritable individu". Mais ce désir a aussi un côté faustien, car il est "désir mythique de changer le plomb en or, de transformer le vil - l'excrément de Freud - en pièces d'or, l'activité humaine en mesure monétaire ; il est quête d'infini, peut-être d'immortalité".

On ne remédie pas à cette complexité par des solutions simples, d'autant qu'il faut "faire avec" ce maudit argent parce qu'il n'est pas prêt de disparaître, contrairement à ce que le communisme prétendait dans sa fatuité. Un surcroît de démocratie ne suffira pas, et la gouvernance est un leurre, estime l'auteur.

Alors, André Gauron, que l'on sent tenté par un appel à la frugalité, délivre son ordonnance pour réconcilier l'égalité et la liberté : réhabiliter la politique afin qu'elle impose des bornes aux marchés et aux spéculateurs, renouer avec le combat social du XIXe siècle qui avait humanisé la société industrielle, développer une Internationale citoyenne capable de contrebalancer les forces obscures de la finance et se fonder sur l'éducation pour "faire prendre conscience de la supériorité du lien social". Une bonne contribution au sommet de Porto Alegre.

par Alain Faujas

APPEL À LA FRUGALITÉ

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 28.01.03

21 octobre 2005

violence de la monnaie EXO

ATTENTION LES QUESTIONS SONT A LA FIN

Des sous etdes hommes

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Jean-Marie ALBERTINI,

Le Seuil, pp. 14-21 

« Le bon vieux troc ne facilitait malheureusement pas les choses. Pour fonctionner, il suppose que celui qui possède ce que vous désirez désire ce que vous possédez et que chacun estime que ce que possède l'autre vaut ce qu'il possède (ouf!). Certes, la confiance arrangeait bien les choses. On pouvait différer l'échange dans le temps :   « Tu me donnes une hache aujourd'hui, et je te donnerai un beau sanglier demain... enfin après-demain... ». Vous devinez à quelles palabres ce genre de proposition devait donner lieu. Afin d'éviter les discussions sans fin et de sortir des limites imposées par le troc, nos ancêtres, toujours aussi ingénieux, inventèrent la monnaie. La monnaie, un bien choisi d'un accord mutuel et désiré aussi par tous, permet de diviser le troc en deux opérations distinctes. Dans un premier temps, on échange contre de la monnaie les biens que l'on a produits. Dans un second temps, on échange de la monnaie ainsi gagnée, contre les produits dont on a besoin. La monnaie se présente comme un bien intermédiaire, dont la valeur, reconnue par tous, permet non seulement de décomposer les échanges, mais de comparer la valeur des biens entre eux (par exemple : X unités de monnaie = un sanglier = une hache de bronze). Comment diable nos ancêtres sont-ils parvenus à trouver un bien qui soit à la fois un moyen d'échange (de paiement) et un étalon général de mesure? Il suffisait d'y penser. Ils prirent des biens que tout le monde désirait, qui se conservaient bien et pouvaient aisément être divisés en petits morceaux (ou ce qui revient au même, en petites quantités). De l'or aux coquillages, désirés par les femmes déjà coquettes, en passant par le sel et les animaux d'élevage, diverses solutions sont possibles. Avec le papier des billets de banque et les   signes  magnétiques   des  disques d'ordinateur, nous en avons inventé quelques autres. Cela n'est pas sans poser quelques problèmes, mais n'anticipons pas.

Tel est le conte que nous rapportent, avec plus ou moins de termes compliqués, un grand nombre d'économistes de toutes tendances. »

On peut en raconter un autre à partir des hypothèses émises par R. Girard dans ses ouvrages : la Violence et leSacré et Deschoses cachées depuisla fondationdu monde.

Vous verrez qu'un même fait peut être interprété de manière bien différente, et qu'en changeant d'hypothèses théoriques on aboutit à des conséquences pratiques fort différentes.

Un conte immoral mais très instructif

Une horde d'êtres commence à marcher sur leurs membres postérieurs, pour voir au-dessus une savane qui, à la suite d'un changement climatique, a remplacé la forêt. Ce sont nos ancêtres. Ils sont petits, leur front est bas, le menton fuyant, le corps largement couvert de poils. L'évolution des espèces, peut-être les efforts faits pour apprendre à marcher sur leurs deux pattes arrière leur ont joué un mauvais tour. La grosseur de leur cerveau, inférieure à la nôtre, est déjà sans commune mesure avec la grosseur de ceux des sortes de singes qui furent leurs prédécesseurs immédiats. Un tel cerveau a développé chez eux l'imagination; leur sexualité est devenue permanente. Ils ne pensent qu'à ça et les disputes pour les « femelles » (enfin les femmes) sont fréquentes. Elles risquent d'entraîner .l'autodestruction de cette nouvelle espèce. A propos, avez-vous remarqué que, dans la version précédente, nos ancêtres étaient surtout occupés à travailler, produire, calculer; ils devaient cependant faire l'amour puisque nous sommes là !

Mais revenons à nos premiers hommes. Non seulement ils se disputaient les femmes, mais, l'intelligence se développant et la station debout facilitant l'usage de la main, .le moindre gringalet apprit vite comment, avec un pieu ou une pierre rendue tranchante, il pouvait, en l'attaquant par-derrière, éliminer un congénère, physiquement plus fort que lui. Or, chez leurs cousins germains, les singes, c'était le plus fort qui faisait respecter l'ordre, évitait les disputes, répartissait les femelles en se réservant les plus belles.

Avec les gringalets malins, les hiérarchies animales qui avaient jusqu'ici permis la survie des espèces ne tiennent plus. La violence sévit. L'imitation de l'autre, qui permet de transmettre les comportements nécessaires, dégénère. Imiter l'autre, « le chef » le plus fort, c'est psychologiquement se l'approprier en lui ressemblant. Lorsque la crainte du plus fort ne pose plus de barrières infranchissables, l'imitation, l'appropriation de l'autre pour lui ressembler peut aller jusqu'au meurtre,   jusqu'à  l'anthropophagie  (une  manière comme une autre de s'approprier l'autre, de ne plus faire qu'un avec son prochain, de lui être totalement solidaire...).

Pour sortir de cette passe dangereuse, une des premières solutions découvertes fut l'union de tous contre un, la victime émissaire. Le sale juif, l'union nationale contre l'ennemi héréditaire, les croisades ou les guerres saintes, les travailleurs étrangers, les lynchages en tout genre et les têtes de Turc de nos classes enfantines relèvent du même procédé. Grâce à eux, les hommes retrouvent (ou trouvent) le sentiment de solidarité, d'union et d'appartenance et évitent les disputes intestines.

Sacrifier un membre du groupe, afin d'éviter au groupe de disparaître, ne peut avoir cependant qu'une efficacité limitée. A force de sacrifices, on peut aussi faire disparaître l'espèce. Les guerres, qui furent, peut-être, à l'origine, un moyen de se procurer les victimes nécessaires aux sacrifices, nous l'ont prouvé.

-   Assez rapidement, nos ancêtres (qui étaient tout aussi intelligents que ceux de notre premier conte, même s'ils sont aujourd'hui moins présentables) ont trouvé un substitut à la victime émissaire : la répétition rituelle du meurtre pacificateur grâce à des sacrifices d'animaux (sacrifices et rites religieux vont de pair). Ces « presque » végétariens (ils se nourrissaient jusqu'ici de fruits, de végétaux en tout genre auxquels ils ajoutaient quelques insectes ou vers...) allaient devenir chasseurs par nécessité religieuse. Ils chassent non pas pour se nourrir mais pour accomplir des actes en apparence sans nécessité. Pour ne jamais manquer d'animaux de sacrifice,   ils  parquèrent   divers  gibiers   vivants  dans  des enclos. Ainsi commença, sans doute, la domestication. (Il est, en effet, peu probable que ces hommes du fond des âges aient commencé à garder avec eux des animaux pendant quelques centaines d'années afin que leurs descendants puissent devenir des éleveurs.) En même temps qu'ils instauraient les rites du sacré, us pouvaient instituer, au nom des puissances supérieures, des interdits et des tabous. L'inceste dut être un des premiers tabous. Il interdisait de se disputer les femmes du groupe, en clair, de coucher avec sa mère, sa soeur, voire avec des parentes plus éloignées. On s'apercevra plus tard des risques héréditaires de la consanguinité. C'est, en tout cas, « culotté » de penser que les premiers hommes, qui ne faisaient guère de liaison entre l'acte sexuel et la naissance, aient pu avoir  une sorte de prescience de ces risques. Des interdits au langage, pour nommer le bien et le mal, le permis de ce qui ne l'est pas, il n'y a qu'un pas. On en fait des choses quand le plus fort physiquement ne parvient plus à imposer son ordre. Toutefois, sacrifier, invoquer, interdire ne suffisent pas pour maîtriser la violence. Peu à peu, nos petits ancêtres allaient explorer d'autres voies. Ils se donnèrent des rois (des monarques), un pouvoir politique. Ils autorisaient l'un d'entre eux, mis à part, de transgresser les interdits. Le roi est celui qui a le droit de vie ou de mort (les chefs d'État ont toujours le droit de grâce). Le roi peut aussi transgresser l'inceste, se marier avec sa cousine (ce qui dans l'histoire est presque une manie), avoir des concubines (c'est toujours assez bien porté). Un certain pape Borgia semble être allé assez loin dans les sens interdits puisque la rumeur rapporte qu'il eut pour maîtresse sa propre fille.

Peu à peu, nos ancêtres ont appris aussi à retourner la violence contre les choses. Celui qui risquait de subir une imitation dangereuse de la part de l'autre présentait à ce dernier un objet lui appartenant. L'autre, subodorant qu'il risquait de subir une imitation « appropriative », agissait de même (n'oubliez pas que l'imitation peut aller jusqu'à l'anthropophagie). Il ne s'agissait pas d'échanger des objets dont on avait besoin, mais d'assouvir (sans risque) les désirs d'appropriation. Nous sommes dans l'ordre du culturel, du rituel, et non de la nécessité physiologique ou économique. Le jour où les hommes comprirent que le plus simple était de s'entendre sur un bien qui ne servirait qu'à l'échange rituel (autrement dit qui ne servirait à rien d'utile...), ilsavaient inventé la monnaie. Ce n'est pas pour rien que les premières monnaies sont des biens qui ne servent pas à satisfaire des besoins physiologiques (l'or, les coquilles, les animaux des sacrifices...). Bientôt, les monarques facilitèrent la création de la monnaie. Ils s'arrogèrent le droit de la créer, en y apposant leur effigie. Ils donnaient ainsi à ceux qui possédaient de la monnaie l'impression qu'ils s'appropriaient un peu de leur personne, de leurs pouvoirs, de leurs droits à ne pas respecter les tabous, la monnaie devenant un moyen de rêver que l'on était le chef. On allait produire pour seprocurer dela monnaie,inventer letravail,   de nouvellestechniques, produire pourproduire,   soumettre   des hommes,  créer  descontraintes économiques. L'aventure économique commençait.

3. Les conséquences des deux versions

Les deux versions ont un point commun : elles aboutissent à l'invention d'unemonnaie quisert à l'échange. La monnaie est, en effet, un étalon accepté par tous, qui permet de mesurer des valeurs et, donc, d'établir des prix. On peut aussi ajouter que les deux versions voient dans la monnaie un moyende développementdeséchanges économiques, ceux qui ont trait au commerce des biens et des services produits afin d'être vendus : les marchandises. Le développement des échanges est d'autant plus rapide que la monnaie sert de réservedes valeurs. On la garde (ou on l'économise) pour acheter ce que l'on désire, au moment le plus adéquat. Il n'est pas besoin de trouver quelqu'un qui possède ce que l'on désire et qui désire ce que l'on possède. Tout le monde désire de la monnaie. Il n'est plus besoin de promettre un sanglier contre une hache immédiatement disponible. Avec la monnaie, on achète la hache, on tue le sanglier et on le vend. Chacun s'en tire mieux, le possesseur de la hache n'a couru aucun risque. Le chasseur l'achète à un meilleur prix. Si ce dernier revient bredouille de la chasse, le vendeur de la hache pourra s'adresser à un autre chasseur. Bien entendu, nous ne nous prononçons pas ici sur les raisons qui incitent les uns et les autres à se procurer un sanglier (sacrifice, soif d'argent, ou festin, peu importe). Entre les deux contes, il existe cependant des différencesévidentes : Dans la première version, l'échange économique existe avant l'invention de la monnaie. Dans le second cas, il n'existe qu'un échange rituel, c'est la monnaie qui permet l'apparition d'un échange véritablement économique ; c'est-à-dire entre produits destinés à être vendus. partir de cette première différence, les divergences ne vont que s'accentuer. Sile troc   existe avant la monnaie,il ya unmoyen dedéterminerla valeuréconomique des chosesindépendammentde lamonnaie. Plus fondamentalement, les produits s'échangent contre des produits. La monnaie n'ajoute rien à l'échange, elle le facilite. On peut même affirmer qu'elle n'est qu'un bien comme un autre, elle est tout au plus un bien choisi par une société pour jouer un rôle d'intermédiaire. Sa « valeur » dépend donc de sa rareté, cela n'est pas sans conséquence sur les politiques économiques et bien d'autres choses, nous en reparlerons.

Sila monnaieest antérieure àl'échange économique,si elleest uneinstitution aumême t itreque lesacré (la religion et ses interdits) et lemonarque (le pouvoir politique et ses prérogatives), elle a une tout autre nature que la monnaie marchandise jouant un rôle de simple intermédiaire.   Elle estun pouvoirque l'on chercheàs'approprier. Elle est intimement mêlée à l'institution politique dont, peut-être, elle dépend dès son origine. Elle n'est plus neutre. Elle permet de dominer l'autre et de provoquer le développement de l'économie marchande. Elle devient un instrument qu'utilise le pouvoir politique pour orienter l'économie. Nous n'aboutissons pas aux mêmes conséquences ni dans la théorie ni dans la politique économique. Prenons le comportement d'un individu. Dans le premier cas, si la monnaie est un bien comme un autre, il calcule, raisonne. Dans le second cas, il poursuit une chimère (un leurre au sens propre du terme) et cela, tout en faisant dévier la violence sur les choses, l'incite à produire plus. Bien entendu, dans cette quête sans fin il pourra assouvir sa soif de domination, exploiter d'autres hommes. Tant mieux, exploiter est, pour la survie d'un groupe, voire de l'espèce, moins dangereux que le meurtre. L' «ordre », certains diraient le désordre, économique est une manière efficace d'apaiser la violence originelle.

Bien entendu, le lecteur a compris que je penche pour la seconde version. Ce qui est curieux, c'est le nombre d'économistes ou de réformateurs impénitents qui ont cherché à réduire la fonction socio-économique de la monnaie. Les théoriciens du libéralisme, notamment J.-B. Say (1767-1832), ont totalement nié le rôle actif de la monnaie. C'est eux qui en ont fait un simple voile qui camoufle l'échange réel, l'échange des produits. Leur option n'est pas innocente. A l'époque (à la fin du XVIII siècle), ils luttent contre les interventions royales, l'absolutisme et les réglementations en tout genre qui empêchent les entrepreneurs d'introduire des innovations techniques. Admettre que la monnaie est un droit (un pouvoir lié au politique), c'est s'engager dans une <  voie dangereuse pour le libéralisme qu'ils prônent et dans lequel ils voient la condition nécessaire au progrès économique. « Pourquoi des lois. quand tout va bien sans loi? » Certes, ils savent bien que la monnaie est nécessaire. Ils ne veulent pas la supprimer mais en font un bien banal dont la valeur est fixée indépendamment du pouvoir politique. Toute une partie des réformateurs, plus ou moins socialisants, ont proposé, de leur côté, des systèmes économiques sans monnaie. Pour les moralistes, la poursuite indécente de l'accumulation monétaire est une perversion, un vice quand elle dépasse les bornes d'une sainte épargne considérée, elle, comme une vertu de prévoyance. Perversion peut-être, mais la civilisation n'est-elle pas, après tout, une formidable perversion de l'état naturel ? D'autres veulent, en supprimant la monnaie, empêcher l'exploitation de l'homme par l'homme qu'elle permet. Celui qui a de la monnaie peut acheter des biens de production (les machines, les usines, les moyens de transport) et obliger celui qui n'a que sa force de travail à « boulonner » à vil prix. K. Marx (1818-1883), cédant aux mythes socialisants de l'époque, admet que la monnaie n'existera plus dans le communisme, système évolué qui succédera au socialisme, où chacun « piochera » au tas tout ce dont il aura besoin. A certaines époques, les pays socialistes ont limité, voire supprimé le rôle de la monnaie. En Union soviétique, le communisme de guerre (1919- 1921) remplaça la monnaie par des bons de travail. On fit de même à Cuba au moment de l'arrivée au pouvoir de Fidel Castro. D'une manière générale, les pays socialistes ont tenté d'écarter les stimulants monétaires et de les remplacer par une émulation socialiste faisant appelà de nobles sentiments. 

Travail à faire 

  1- Résumez chacune de ces thèses

2- Montrez comment la monnaie canalise la violence

3- Quelles sont les relations entre la monnaie et la valeur, entre la monnaie et le pouvoir ?

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21 octobre 2005

les agrégats monétaires

les agrégats

Agrégats monétaires: Ce sont les composantes de la masse monétaire.
M1: Monnaie + billets + dépôts à vue (comptes courants bancaires).
M2: M1 + comptes d'épargnes sur livret.
M3: M2 + dépôts à terme (avec durée d'immobilisation) + avoirs en devises.
M4: M3 + épargne contractuelle (argent immobilisé relativement longtemps).

20 octobre 2005

les tpe

on en est où?

on fait quoi?

quel calendrier on se donne pour finir en mars ...date prévisible de l'examen?

20 octobre 2005

bonjour

ceci est le blog des élèves de la classe de première ES du lycée Saint Paul à Ajaccio

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I ES Saint Paul Ajaccio
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